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automne 1998

La grève du siècle

Ecriture d'un scenario de long métrage. 
A peine revenu d'un long voyage pendant lequel j'avais écris mon premier scenario de long métrage ("l'Attaque des blondes"), mon ami et professeur d'écriture scénaristique Christian Biegalski (alors devenu directeur du CEEA), me propose d'être le "nègre" invisible de l'écriture d'un projet de comédie. Il vient de séduire Claude Zidi en lui proposant un sujet qui n'a jamais été traité en comédie : la sécurité sociale... Je lui fait remarqué que ce n'est sans doute pas pour rien si il n'y a jamais eu de comédie sur ce sujet mais m'empresse de relever le défi.
Après quelques recherches, je reviens vers lui avec le pitch suivant : Une bande de gréviste décide de faire financer leur grève par la sécurité sociale en se mettant tous en arrêt maladie.

Même si on y suit la rencontre entre le jeune Julien Janvier (jeune bon à rien qui découvre le monde du travail) et Raymond Georges (vieux syndicaliste désabusé à quelques trimestres de la retraite) il s'agit d'un film choral social avec une centaine de bras cassés dont le statut de  de malade imaginaire est difficile à tenir face à une direction qui a décidé d'en découdre. A travers cette histoire de passage de relais de la flamme syndicale, il s'agit aussi de rendre hommage à mon père Gaby Thollet qui a été longtemps chargé de mission handicap et santé au siège national de la CFDT.


Impatient de rentrer dans les rouages de cette écriture, je brule les étapes de production du scénario (signature de contrat, validation du synopsis, validation du séquencier etc...) et me lance comme un fou dans la rédaction de ces 121 pages de scénario. Mon ami Christian Biegalski meurt peu après et je me retrouve sans trop quoi faire avec ce manuscrit. Beaucoup de choses se bousculent dans ma tête avec la douleur lié à cette disparition. Je décide de faire une grande pause dans mes projets d'écriture... En tout cas scénaristique...

ABDEL BAKHTI

Oh ça me reprend, là. Vous voyez.

 

BENOÎT VALIN

Oui je vois surtout que ce n’est pas la même jambe que tout à l’heure.

ABDEL BAKHTI

Mais alors c’est encore plus grave, docteur.

Extraits

GÉRARD DELAFORGE

Asseyez-vous. C’est la crise.

 

ELODIE MINE

C’est ce que vous m’avez dit oui. Mais qu’est-ce qui peut être plus grave que la situation que vous m’avez décrite lorsque je suis arrivée ? Enfin je veux dire...

GÉRARD DELAFORGE

Ca va j’ai compris. Il va falloir arrêter de faire des belles phrases un peu longues parce qu’on n’a pas vraiment de temps à perdre.

 

ELODIE MINE

Excusez-moi, Monsieur Delaforge, je vous promets de ne pas recommencer.

 

GÉRARD DELAFORGE

Dites-moi juste “OK” et c’est bon.

 

ELODIE MINE

OK.

 

GÉRARD DELAFORGE

Bon c’est la grève.

 

ELODIE MINE

La grève ?

 

GÉRARD DELAFORGE

La grève.

PIERRE YVES TRAUCHESSEC

Sauf votre respect vous êtes une vraie charogne, monsieur le directeur. Une putain de charogne bouffée par la cupidité.

 

GÉRARD DELAFORGE

Vous me manquez de respect alors que l’on n’a même pas encore parlé de votre prime de licenciement.

 

PIERRE YVES TRAUCHESSEC

C’est vrai. Excusez-moi, monsieur le directeur.

RAYMOND GEORGES

Ce con m’a sorti qu’en payant ces heures sup, il met Plastimoule dans des difficultés financières et blablabla. Bref, c’est la fin des haricots et un employé sur quatre n’aura bientôt plus les moyens d’y mettre du beurre.

 

ABDEL BAKHTI

Moi j’aime pas les haricots.

 

JULIEN JANVIER

C’est pas avec les épinards, l’expression du beurre ?

 

JOSÉ DUARTE

Ca fait du monde un sur quatre.

52 EXT. PLACE DE L’HÔTEL DE VILLE DE PARIS - JOUR

 

Raymond Georges marche sur la place de l’Hôtel de Ville de Paris où Julien le suit en regardant les jolies filles qui se promènent.

 

RAYMOND GEORGES

Eh bien, avant le début du 19eme siècle, elle ne s’appelait pas du tout la place de l'Hôtel de Ville parce qu’il n’y avait pas la mairie.

JULIEN JANVIER

Ah non ?

 

RAYMOND GEORGES

Non, elle s’appelait la place de Grève. C’était un peu plus petit que la place actuelle, et c’était couvert de sable. “Grève” à l’époque c’était le mot qu’on utilisait pour parler de ce sol.

JULIEN JANVIER

Ah ouais. Délire.

 

RAYMOND GEORGES

C’était là que les Parisiens à la rue venaient chercher du travail parce qu’avec les bateaux qui allaient et venaient, c’était là qu’il y avait du travail. A cette époque on faisait la grève à la place de pointer à l’ANPE. C’était une expression pour dire qu’on cherchait du travail. Bon accessoirement c’est aussi là qu’on a essayé la guillotine pour la première fois mais ça n’a pas forcément de rapport avec le sujet.

53 EXT. PLACE DE L’HÔTEL DE VILLE DE PARIS - JOUR 

Au milieu de la place, Raymond Georges enfile le bonnet pointu du bourreau avant de se pencher sur le mécanisme d’une guillotine. Le malheureux condamné est Gérard Delaforge.

54 EXT. GRANDE AVENUE PARISIENNE - JOUR

Au milieu d’une grosse manifestation, Julien Janvier quitte ses rêvasseries pour regarder Raymond Georges. Celui-ci est obligé de crier pour que Julien l’entende.

 

RAYMOND GEORGES

Bref les années ont passé. Avec l’industrialisation, on a trouvé le boulot et les patrons de plus en plus chiants, on a eu de plus en plus envie d’ouvrir notre gueule alors on s’est mis dans la rue et on a repris l’expression. Sauf que ce n’était plus pour chercher du travail mais simplement pour râler. Le 25 mai 1864, une loi nous a donné le droit de faire la grève mais ça n’a pas changé grand-chose. C’est toujours pareil. Ce n’est pas parce que les lois existent quelles sont appliquées. En tout cas les choses ont un peu changé le 28 octobre 1946.

JULIEN JANVIER

Délire, le jour de mon anniversaire.

 

RAYMOND GEORGES

T’as cinquante ans Janvier ?

JULIEN JANVIER

Non, mais enfin je veux dire.

 

RAYMOND GEORGES

Bon alors me coupe pas quand je fais la leçon. Donc le droit de grève est abordé en préambule de la constitution du 28 octobre 1946. Depuis, d’autres lois sont arrivées pour éviter qu’on en abuse mais on a encore jamais touché au droit de grève. Enfin jusqu’à maintenant.

 

JULIEN JANVIER

Et comment euh... Comment on est payé quand on fait la grève ?

Un silence s’installe d’un seul coup sous les regards pesants de Raymond et des grévistes autour de lui.

 

RAYMOND GEORGES

Tu rigoles ?

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