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automne 2002

Creative screenwriting

Article publié dans le magazine Synopsis n°24 (mars avril 2003) sur la première édition du festival américain Creative screenwriting. J'ai assisté à ces deux jours de conférence à l'occasion d'un grand voyage que je faisais à cette période. 

2002 Screenwriting Expo

La plus grande foire américaine du scénario

 

Pour fêter ses neufs ans d'existence bien remarquée (par plus de 40 000 lecteurs par mois), le magazine Creative Screenwriting a décidé d'organiser à Los Angeles la première édition de son festival consacré à l'écriture et à la vente de scénario.

Ce rendez-vous sans précédent - condensé dans le week-end du Samedi 16 et Dimanche 17 Novembre 2002 - est le fruit de la canalisation des énergies et des envies d’un réseau que le magazine a créé au fil des années.
Ce comité va des maisons d’édition les plus petites aux maisons de production les plus importantes en passant par les consultants, les agents, les créateurs de site web consacré à l’écriture, à la correction ou à la vente de scénario, les écoles, les script-doctors, les scénaristes qu'ils interviewent régulièrement ou encore les autres journaux spécialisés dans ce domaine qui ne voulaient pas passer à coté de cet événement.

De passage pour quelques mois et d'autres raisons dans le pays du pitch, le jeune apprenti scénariste français que je suis ne pouvait pas rater cette occasion d'immersion intensive puisqu'à travers ces deux petites journées, je pouvais découvrir ce que je n'aurais sans doute pas trouvé en plusieurs mois de porte à porte dans les rues de Los Angeles. Me voila donc perdu dans la foule qui envahit aux aurores le " L.A. Convention Center" pour essayer de comprendre à la fin de quelle file d'attente je dois me poster pour avoir mon pass.

"No pitch in the rest room, please 1 " 

Pour cela je traverse un immense couloir vitré où plusieurs centaines de personnes attendent déjà leur tour pour tenter leur chance au "Pitch Fest".

Heureusement que quelqu'un me l'explique parce que j'aurais pu passer deux heures à attendre avec eux pour cinq minutes de pitch (face aux représentants d’une dizaine de studios plus ou moins importants) auquel je n'aurais pas eu droit pour la simple et bonne raison que je m'y serais retrouvé sans le fameux pass que je cherche partout. Difficile de ne pas penser au roman de Caroline Bongrand ("Pitch" aux éditions du Nil) sans se dire que cette gigantesque file d'attente illustrerait à merveille le parcours du combattant du scénariste américain.


Je trouve finalement mon pass, et, plus curieux qu'intéressé, je cherche une place dans une grande salle pour écouter Robert Kosberg, aussi bien connu par les scénaristes que par les studios pour être l'homme qui a vendu le plus de pitch au monde. C'est sur que si ce type vend autant de pitch par semaine qu'il peut dire de mots par seconde, il doit avoir de quoi être Calife à la place du Calife (mais à quoi bon, puisqu'il l'est déjà). Sans reprendre sa respiration pendant deux heures, "the pitch king 2 " développe le sujet de son intervention, "Selling your idea to Hollywood 3 " en racontant que c'est après avoir admis qu'il était meilleur "pitcheur" que scénariste qu'il a décidé de faire appelle à un avocat pour définir ses droits, son mode de rémunération et ainsi inventer son métier. Il raconte de manière hilarante la genèse et la vente d'une quinzaine de pitchs qu'il a représenté, en réussissant à glisser six fois son numéro de fax (323 - 862 2090). "You think I'm a good guy thanks whom you gonna make a lot of money, but I'll fuck you first with your idea 4 " lance-t-il en faisant éclater de rire toute l'assistance qui lui sautera tout de même dessus dès qu'il reprendra son souffle à la fin de sa séance de force de vente.

 

 

 

Avant qu'un des organisateurs vienne l'aider à sortir de la salle en rajoutant, ironique, "No Pitch in the rest room, please 1 ", (une blague répétée pendant tout le week-end à toutes les occasions) Mister Kosberg parvient à donner une conclusion qui pose bien les règles du jeu, en conseillant à tout le monde de considérer Hollywood comme un immense jeu à taille humaine dans lequel on peut perdre son temps ou tout gagner en fonction de l'humeur du producteur ou de la popularité de la personne qui vous soutient...

Robert Kosberg, the "pitch king"

David S Goyer, le scénariste
de Dark City, The crow, Blade

"Don't Listen To Them : 3-Act Structure Rocks ! 5 "

Ce genre de show est l’une des 140 interventions parmi lesquels il me faut choisir pour faire mon programme en sachant que  1°/ je n'ai droit qu'à un maximum de dix séances de deux heures, 2°/ Il y a aussi de fantastiques invités d'honneurs à ne pas rater et 3°/ le petit mais intéressant forum de discussion et de vente de livres (à -10 %) n'est ouvert que pendant les heures de festivités. 

Je cours donc de salle en salle en élaborant toutes sortes de calculs pour rentabiliser au mieux mon petit séjour à deux pas d’Hollywood. Quand je pense que la simple entrée à l’un des séminaires que proposent normalement ces intervenants me coûterait plus 
de 500 $ (disons autant d'Euros) je me sens presque aussi doué pour les affaires que le roi du pitch en ne déboursant ici que 50 $ pour accéder aux deux jours de "Screenwriting expo" (comprenant même un abonnement d'un an au magazine qui crée l'évènement) et deux petits billets verts par séance avec un des "speakers". 
Parfois, je respire dans le petit espace fumeur, sur la terrasse bétonnée où je fais tant de rencontres. C'est là que stupéfait, je découvre que la très grande majorité des 3 000 intéressés présents partage le navrant point commun qui me fait voir le festival d'un autre oeil : aucun d'entre nous n'a vendu un seul scénario. Tout le monde rêve de faire rêver des millions de spectateurs, mais personne n'y a réussi. 

Au moment où je commence à voir la mascarade comme un festival du scénariste amateur, je rentre dans un des "cours" de Linda Seger qui me remet tout de suite les idées en place. "One day" commence-t-elle sa séance ("Using non linear and non traditional structure and make it work 6 ") "I asked to a young scriptwriter why he always send me scripts with a a big explosion at the last part, when it must be the climax ? "Because that's what you want to buy", he answered 7 ". A travers cet exemple, elle déclare qu'il faut de nouveaux scénaristes avec de nouvelles idées, pour de nouveaux spectateurs. Ca y est ! Je comprends, c'est le festival des nouveaux talents. Le "graine de star" du scénario américain. Bon d'accord je dois admettre que ça n’était pas forcement l’objectif des organisateurs et que ce n'est pas leur faute, si seuls les plus intéressés ont répondu présents en inventant cette fonction à leur événement. L'auteur de tant de bons conseils ("Créer des personnages inoubliables", "Faire d'un bon scénario, un scénario inoubliable" édités en France par Dixit ou encore une charte de bonne conduite pour travailler via internet), finit par expliquer que pour réussir sa structure non traditionnelle, on doit pouvoir entrer et sortir de l'histoire. On doit y sentir la bonne vieille construction en trois actes.

Ils ont bon dos, ces fameux trois actes pendant ces deux jours. Aristote rigolerait bien s'il entendait tout ce qu'on lui fait dire. Chacun y va de sa manière de présenter la chose pour attirer les participants jusqu'à leur séance de deux heures qui sert souvent de vitrine pour vendre et dédicacer leurs livres ou proposer des inscriptions à leur séminaire.

Chaque intitulé de séance est une formule aguicheuse et innovante mais dans le fond tout le monde répète le titre que Christopher Keane a trouvé pour une de ses interventions (qui résume bien l'ambiance de compétition entre les intervenants) : "Don't listen to them : 3-Act structure rocks 5." 
Personne ne fait exception au martèlement de la règle des trois actes : Jeff Kitchen les sort de sa boite à outils avec ses fameuses 36 situations dramatiques. Christopher Keane les justifie à travers une kyrielle d’exemples de films. James Bonnet fait des plans en trois actes sur la comète du troisième épisode de "Star Wars" pour présenter à la manière d'un vieux prof blasé (qu'il doit être) l'étrange graphique de son "Anti-Hero's Journey : Exploring the Dark Side 8 " où les personnages évoluent cycliquement autour du Ying et du Yang en allant de l'enfer au paradis ou du paradis à l'enfer... 

Chez d'autres comme Dan Decker, la structure en trois actes est un acquis sur lequel on ne revient pas pour explorer la scène ou le dialogue. C'est ainsi qu'avec beaucoup d'humour, il m'éclaire sur l'efficacité du cinéma américain en ressassant des formules simplissimes (mais bougrement effectives) telles que "Don't ask questions ; if you do, don't answer ; if you do, lie 9 " (faites des dialogues humains) ou encore "Don't show, do 10 " (évitez les scènes descriptives pour raconter une histoire dans l'action).

"Go where your instinct tell you to go 11 " 

Entre autres réjouissances, j'ai aussi assisté à l'autobiographie en direct (et en deux heures) de quelques "Guests of Honor 12 ". Comment ne pas résister aux petits secrets des grands du métier ? A la découverte de leurs débuts ? De leur méthode ? De leur rythme de travail ? Du pourquoi de leur réussite ? 
J'écoute religieusement les centaines d'aventures de Richard Matheson, l'auteur des plus grands épisodes de "Twilight Zone 13 ". Je bave devant David Goyer, l’auteur de 100% de "Dark City", et de plus de 80 % de “The Crow” et des deux "Blade". Ce joyeux trentenaire aux bras recouverts de tatouages se détourne de son incroyable réussite en racontant qu'il s’est fait son premier tatouage pour fêter sa première vente, cinq mois après sa sortie d'école de cinéma. Je meurs de rire pendant le one-man-show de Harlon Ellison, l’auteur multirécidiviste de 75 livres qui passe sans complexe du journal papier à la radio ou du grand au petit écran. David O Russel le scénariste “indépendant” de "Sponking the Monkey", "Flirting with Disaster" et "Three Kings" m’achève avec la lecture monocorde mais hilarante du scénario de sa vie de galère jusqu’à son premier contrat. Le moment le plus encourageant est sans conteste l’intervention de Franck Darabont, le seul scénariste qui a réussi à adapter des romans de Steven King sans que ce dernier le lui reproche ("Showshank Rédemption", "Green Mile"). Abordant avec un ton blasé le travail qu’il fait actuellement avec Steven (Spielberg) sur les prochaines aventures d' "Indiana Jones" il passe son temps à répondre aux questions en répétant "Go where your instinct tell you to go ".

Pour clore le festival, une poignée de jeunes acteurs interprètent les scènes rédigées par les trois finalistes d'un concours d’écriture qui a investi près d'un millier de participants pendant ces deux journées. Je vote pour celle qui se déroule aux portes de l'enfer. Sur mon bulletin, je dois laisser mon nom pour une tombola qui fini par transformer l'officiel remise de prix 
(2 000 $ pour le lauréat du concours qui s'est déroulé pendant le festival et 5000 $ pour le meilleur scénario envoyé quelques mois avant le week-end) en une véritable foire d'empoigne.

Je pars avec un des plus petits cadeaux (certains ont pu gagner l'équivalent de 1000 $ de brainstorming avec une agence spécialisée), mais pour moi, c'est comme si je partais avec la clef de voûte de l'industrie du scénario américain C'est un petit livre intitule "Aristotle's Poetics for screenwriters 14 "... 


Malgré tout ce que j’ai appris ici et tout le bien que je pense de certaines productions américaines, je rêve qu'en repartant en France avec ce petit pavé, le gigantesque édifice hollywoodien s'écroule derrière moi au ralenti. 

1 pas de pitch dans les toilettes, s'il vous plait

2 le roi du pitch

3 vendre ses idées à Hollywood

4 vous pensez que je suis un bon gars grâce à qui vous allez faire plein d'argent, mais je vais vous baiser avec votre idée

5 ne les écoutez pas : rien de tel que la solide construction en trois actes

6 utiliser des structures non linéaires et non traditionnelles, et faire en sorte que ça marche

7 un jour j'ai demandé à un jeune scénariste pourquoi il m'envoyait toujours des scenarii avec une grosse explosion dans la dernière partie, là où devrait se situer le climax. "Parce que c'est ce que vous voulez acheter" me répondit-il

8 le parcours du anti-héros : l'exploration du coté obscur

9 ne posez pas de questions ; si vous le faites, ne répondez pas ; si vous le faites, mentez

10 ne montrez pas, faites

11 suis ton instinct

12 Invités d'honneur

13 la quatrième dimension

14 la poésie d'Aristote pour les scénaristes

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